Les Soupers d'Hécate de K.F.
Smith
Traduction et adaptation de Serpentine
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Carrefour sur un site gallo-grec - Vaucluse - photo de Serpentine |
Les soupers d'Hécate (deipna hekatês ou bien encore
Hekataia ou Hekatêsia) étaient des offrandes laissées aux
carrefours chaque mois à la déesse.
Le but n'était pas seulement d'apaiser
l'effrayante déesse mais aussi, nous l'apprenons par Plutarque
(Moralia, 709 A), d'être « apotropaioi » c'est-à-dire
de repousser les fantômes sans repos ne pouvant demeurer dans leurs
tombes et qui reviennent sur terre en quête de vengeance.
Une armée d'êtres invisibles et
malfaisants répondant à l'appel rugissant de leur meneuse et reine
au milieu de la nuit.
En réalité, ces offrandes sont un
dérivé spécifique d'un culte primitif rendu aux morts. Et dans une
certaine mesure, cette offrande spécifique est reconnue comme étant
adressée à une Hécate dont nous avons déterminé qu'elle est une
divinité recomposée.
Elle fut une déesse lunaire, et
probablement même une déesse des routes tout autant que du monde
souterrain. Et déterminer laquelle de ces trois fonctions fut
attribuée dès l'origine est un autre sujet. Cependant, cela ne nous
concerne pas ici attendu que l'amalgame était déjà acquis bien
avant le Plutus (594 ff) d'Aristophane dans lequel nous trouvons la
première référence sur le sujet.
Les soupers d'Hécate
étaient déposés aux croisements. La triple déesse est clairement
identifiée au point de rencontre de trois routes nommé
« trioditis » « trivia ». Les carrefours sont
aussi des lieux reconnus comme étant toujours hantés par les
fantômes des morts sans repos.
Au sujet des jours au cours
desquels les offrandes étaient faites, les témoignages semblent
contradictoires au premier abord, créant une confusion pour les
chercheurs modernes.
D'un côté nous pourrions dire que le
moment était « à la nouvelle lune », ou plus exactement
comme le rapportent les érudits au sujet d'Aristophane (Plutus, 594)
« kata tên noumênian...herperas », c'est-à-dire la
veille de la nouvelle lune. Cette déclaration est tout à fait en
accord avec le caractère et les fonctions de la déesse. La date du
sacrifice était déterminé, du moins originellement, par la
première apparition de la nouvelle lune qui serait vue comme Hécate
elle-même revenant du royaume d'Hadès. Les offrandes aux morts
étaient alors faites ce jour.
D'un autre côté, il est
également dit que les sacrifices à Hécate et les offrandes
apotropaïques étaient faites le « trentième »,
c'est-à-dire le dernier jour du mois selon le décompte grec. Ce
jour était consacré aux morts. En fait, à Athènes, les trois
derniers jours du mois étaient dédiés aux puissances du monde
souterrain et considérés apophrades (néfaste). Les deipna étaient
donnés à Hécate et aux apotropaioi, les libations dédiées aux
morts, etc.
La divergence sur les dates toutefois est une
apparence. Les grecs déterminaient le temps en année lunaire, ce
qui est le cas durant la prime période des sacrifices. La veille de
la nouvelle lune se produisait donc le treizième jour de chaque
mois. Le calendrier réformé ne prend pas en compte les phases
lunaires. Néanmoins, la vieille habitude d'appeler le premier jour
du mois « noumênia », jour de la nouvelle lune »,
persiste depuis un temps indéfini.
De là, quand l'érudit
mentionne« à la veille de la noumênia », il a sans
doute à l'esprit le trentième jour du mois selon le nouveau
calendrier. Il semble certain ensuite, partiellement sans doute dû
au fait que le nombre trois et tous ses multiples sont
particulièrement sacrés pour Hécate, que les sacrifices sont
rattachés au trentième jour, en dépit du fait que, quand le
calendrier fut réformé, la raison première du choix de date devint
caduque. Il est possible bien sûr que le rite fut également réalisé
dès l'apparition de la nouvelle lune aussi bien que le trentième
jour du mois. Mais cela ne peut être prouvé actuellement.
Une référence dans l'Hécate de
Diphilus et un passage de Philochorus – également mentionné par
Athénée, 645 – souligne que la veille de la pleine lune (le
treizième jour du mois de Mounichion (cfC.A. Lobeck, Aglaophamus,
Konigsberg, 1829, p 1062)) Hécate était commémorée aux carrefours
avec un gâteau orné de bougies connu sous le nom d'
« ampiphôn ».
Ce prototype frappant du gâteau
d'anniversaire était aussi un aliment de rigueur. Il semble
également que cette observance de la pleine lune provint, de façon
tardive, d'Artémis.
Comme c'est habituellement le cas avec les
offrandes aux morts, les soupers d'Hécate du treizième jour du mois
étaient composés de nourriture. Les ingrédients, du plus loin
qu'il en soit fait mention, étaient les « magides », un
genre de pain ou de gâteau dont les ingrédients et la forme ne sont
pas précis, les « mainis », un petit poisson, du
« skoroda », de l'aïl, du « triglê », du
mulet (un poisson), des « psammêta », un gâteau
sacrificiel décrit par Harpocrate comme du même genre que le
« psaista », des œufs, du fromage et peut-être des
« basunias », un genre de gâteau dont la recette est
donnée par Semus dans l'Athenaeus, XIV.545 B.
Certainement qu'une partie ou la
totalité des éléments dans ce dépôt cérémonial étaient
considérés comme possédant quelques vertus particulières ou alors
cette association est recommandée pour Hécate et sa suite.
Par exemple, comme la croyance
ancienne et répandue que le coq est le symbole du soleil et que tous
les âmes vagabondes doivent se soumette à son invocation et
retourner d'où ils viennent. Probablement que c'est une des raisons
pour lesquelles les œufs sont régulièrement associés au culte des
morts. Dans beaucoup de cas cependant, le choix des éléments composant un sacrifice est dû à leurs propriétés et associations
au culte. La croyance, par exemple, que l’ail est souverain contre
les vampires serait le résultat de cet usage le cadre-ci.
Si, également, le fait évident que le
« triglê » ou mullet était sacré pour Hécate est
suffisamment expliqué par le conservatisme religieux. Diverses
autorités mentionnent qu'Athénée donne des explications à ce
sujet, bien que ce soient des idées et des théories tardives.
Toutefois il se peut que la
nourriture ainsi offerte avait un but prophylactique – détourner
l'« enthumion », la prompte colère d'Hécate et des
fantômes.
De là, si Roscher a raison, le titre d' « Eucoline »
qui est attribuée à la déesse par Callimaque incarne alors
réellement la fervente prière du dévôt à cette occasion pour une
digestion facile.
Avec les soupers d'Hécate, il peut être
inclus les biens nommés « katharmata », « katharsia »
et « oxuthumia ». Tous les trois sont liés aux
sacrifices expiatoires et purificateurs à Hécate qui sont réalisés
à intervalles réguliers pour la maison et ses habitants. Ils sont
déposés aux carrefours à l'attention d'Hécate et, comme c'est
habituellement le cas, avec des offrandes pour les esprits invisibles
et irritables. Le dévôt se retire « ametastrepti »,
sans un regard en arrière.
En somme, comme Rohde le suggère
(Psyche, ii. 79, n.1), les trois cérémonies étaient sans doute
confondues les unes avec les autres, et avec l' « Hekatês
deipnon ».
Le sens général de « katharmata »
signifie déchet, poubelle en tous genres. À ce sujet, selon un
passage dans l'Ammonius ( p79, Valckenaer), « katharmata »
( « katharmata kai apolumata comme Didyme le dit dans
l'Harpocration, s.V. Oxuthumia) signifie tout ce qui est sacrifié
par la maison et qui n'entre pas vraiment dans la cérémonie. Ainsi,
par exemple, l' « aponimma » composé d'eau et de sang
souillés. Le « katharmata » était tout simplement sacré
pour Hécate et, donc, déposé aux croisements.
Le
« katharsia », d'un autre côté, semble avoir été la
totalité de ce qui était laissé des sacrifices après la
cérémonie achevée dans et autour de la maison. Parmi les éléments
probablement inclus : les œufs et les chiens sacrifiés.
Il est notoire que ces derniers étaient
sacrés pour Hécate et prenaient une part importante dans les
rituels de nettoyages de la maison autant chez les grecs que chez les
romains.
Avant d'être sacrifiés, ils devaient
être touchés par chacun des membres de la famille. Ce procédé,
« periskulakismos » , implique dans de telles occasions
le plus vieil animal domestique de la maisonnée devienne le
« pharmakos » , c'est-à-dire le bouc émissaire du
foyer.
Un autre détail important dans ce
rituel, et dans tous les autres similaires dans le monde, est évoqué
par Plutarque (Moralia, 709 A) et décrit par Eschyle (Choeph. 9
(Kirchhoff)). Il s'agit de la fumigation de la maison. Après que
cette dernière est réalisée, l'encensoir (un objet toujours en
terre cuite) est déposé aux carrefours. En d'autres mots, dans
cette cérémonie du « katharsion », le seul élément
épargné est l'encensoir lui-même qui sera offert.
Nous
avons appelé cette cérémonie une fumigation car ce sont les mots
des érudits eux-même « kathairontes tên oikian ostrakinô
thumiatêrio » > purifiant la maison avec un encensoir en
terre cuite. L'opération était assez familière. Quelques
interprétations différentes de ces mots ont eu une influence
considérable sur le débat moderne à propos de l' « oxuthumia ».
Il
est déterminé que ce qui est brûlé dans l'encensoir diffère de
la composition utilisée lors du katharmata ou katharsia. Et que le
procédé était en lui-même l' « oxuthumia ».
Cela, à cause d'un dérivé du mot
« thumon » « thyme ». Si cela est vrai, les
anciennes autorités jugées les plus sûres sont dans l'erreur. La
plupart d'entre elles identifient l' « oxuthumia » au
« katharmata », ou au « katharsia »le moins
souvent.Pour autant que nous le savons,aucun d'eux n'étaient brûlés.
Sans tenir compte de l' « aponimma »,
qui pourrait ne pas être brûlé, nous savons qu'après que le chien
soit sacrifié, la dépouille est déposé à un carrefour. Nous
pensons que les œufs déposés étaient crus (schol de Lucian, Dial.
Mort. I 1, p 251, Rabe) mais aussi, si nous croyons ce que Clement
Alexandrinus (Strom. Vii. 844 ) évoque de ce sacrifice, qu'ils sont
parfois affirmés être « zôogonoumena », capable de
remplir leurs fonctions naturelles.
Et probablement que la théorie
selon laquelle l' « oxuthumia » est relié au « thumon »
amène plus de confusion que de clarté. Habituellement l'
« oxuthumos » souligne l'idée d'un caractère fort et
prompt à la colère. Les écrivains actuels préfèrent toutefois
adopter le point de vue de Rohde (i.276 n.) que l' « oxuthumion »
serait plutôt l'idée d'un état plus emphatique contenu par l'
« enthumion », un mot qui, comme nous l'avons vu
précédemment, est presque technique dans ce domaine particulier. L'
« oxuthumia » serait alors « la cérémonie pour
se prévenir du courroux d'Hécate et des fantômes ».
Ainsi,
il devient un terme générique pour le « katharmata » ou
« katharsia », et nous comprenons donc pourquoi les
anciens lexicographes identifièrent tantôt avec l'un ou
l'autre.
Toute interférence lors des offrandes aux Dieux est
de fait considérée comme sacrilège et le coupable est passible
d'une punition. Cela était particulièrement effrayant dans les cas
d'offrandes aux morts. Par exemple, comme nous l'avons vu, le dévôt
retire l' « ametastrepti ». Pour la raison qu'il puisse
être effrayé par les esprits affamés si ils lui sont apparus.
Hekate était supposée « attacher le coupable au carrefour qui
s'était attardé à son souper » et le punir en le frappant de
folie, ou d'une affliction similaire, ce qui est une spécialité
d'Hécate.
En fait, un curieux passage dans Petronius, 134,
souligne que même un simple et accidentel arrêt après le
katharmata au carrefour étant considéré comme
dangereux.
Théphraste dit que le supersitieux (char, XVI) «
si il aperçoit des festins avec de l'aïl à un carrefour, se
détournera, déversera de l'eau sur sa tête et convoquera les
prêtresses auquelle il apportera « a squill » (qui
connaît ce mot?) ou un chiot pour une purification. ».
En
dépit cependant des périls supposés qu'ils impliquent, autant que
le fait notoire qu'ils étaient infects et peu agréables, les
soupers d'Hécate étaient le plus souvent mangés par une
personne.
Le motif le plus commun bien sûr étant la pauvreté.
Notre première référence est
donnée par Aristophane, Plutus, 594, où Penia déclare que les
riches ont le meilleur. Chremylus rapporte par la déclaration qu'
« Hécate montre qu'être pauvre et affamé n'est pas une bonne
chose. Elle demande que les serviteurs ou les riches lui donne un
souper par mois que les pauvres prendront à peine sera-t-il
déposer . ». Un véritable argument aristophanien !
Cela
a été pris au pied de la lettre par les érudits, donnant lieu à
des commentaires modernes à ce sujet, que les soupers d'Hécate
étaient « des repas laissés aux carrefours chaque mois par
les riches au bénéfice des pauvres. »
Fréquemment les
philosophes cyniques remplissent leurs escarcelles de soupers
d'Hécate ou prétendent l'avoir fait. Et la référence à cette
pratique était un lieu commun littéraire spécifique de leurs
écrits.
Nous pouvions attendre cela d'une école dont la doctrine
de retour à la nature se moque de toutes les conventions –
religieuses ou autres – et singe toutes les usages des couches
sociales les plus basses.
Parfois les soupers d'Hécate étaient
soustraits dans un esprit de bravade comme dans le cas de la bande
athénienne nommée les Apaches qui fut critiquée par Démosthène
dans son discours contre Conon ( liv.19).
Tout du moins,
Hécate était profondément enracinée dans le cœur de la
population. De tous les anciens cultes, aucun n'a montré une aussi
grande vitalité.
Au XI s. ap. JC, l’Église essayait toujours
d'endiguer la pratique des offrandes aux carrefours.
Même
aujourd'hui, les carrefours demeurent étranges et les chiens
continuent de percevoir ce qui est invisibles au regard humain.
Hécate elle-même mène les célèbres chevauchées sorcières du
Moyen-Age, pendant qu'en Germanie le Chasseur Sauvage, et en Touraine
la figure héroïque de Foulques Nerra, ce grand ancêtre des
Plantagenêt, errant à travers l'obscurité accompagné d'un hôte
immatériel, sont une claire indication que Hécate et ses suivants
ont seulement pris un autre visage.